Effectuation : comment visualiser vos ressources cachées ?

Effectuation : comment visualiser vos ressources cachées ?
Image générée avec Midjourney

La théorie de l’effectuation encourage les entrepreneurs en situation d’incertitude à agir en fonction des moyens dont ils disposent. Mais elle suppose que l’identification de ces ressources est évidente. L’arborescence effectuale de Dominique Vian, professeur et chercheur en Management à SKEMA Business School, vient combler cette lacune : grâce à une méthode structurée, elle permet de les révéler et de les exploiter, pour transformer chaque défi en opportunités stratégiques.

Un moyen est une ressource. Il peut être une richesse, un atout, une potentialité, une faculté. Conceptualiser un moyen, c’est le processus cognitif par lequel nous prenons conscience qu’une chose va nous être utile.

Les lacunes de l’effectuation

La théorie de l’effectuation, développée par Saras Sarasvathy, montre que les entrepreneurs en situation d’incertitude partent de leurs moyens existants, imaginent ensuite ce qu’ils peuvent en faire. Pour identifier leurs moyens, ils répondent à trois questions : Qui-suis-je ? Que sais-je ? Qui connais-je ?

Cependant, la théorie de l’effectuation présente plusieurs lacunes. Elle ne détaille pas les mécanismes cognitifs permettant d’identifier un moyen dans les situations complexes. Elle suppose que l’identification des ressources est évidente. 


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Pourtant, la difficulté de conceptualisation des ressources est réelle : les décideurs peinent parfois à les identifier. Le processus n’est pas aussi simple que « l’ouverture du frigo », pour reprendre la métaphore culinaire de Sarasvathy. La prise de conscience de ses ressources est un défi pour tout individu qui souhaite agir dans des situations complexes.

Cette lacune théorique justifie le besoin de développer des mécanismes cognitifs et des représentations qui facilitent le processus de conceptualisation des moyens.

L’exemple d’un centre médical

Pour illustrer les mécanismes cognitifs mis en œuvre, imaginons la situation d’un centre d’appel assurant le secrétariat médical. Celui-ci est confronté à plusieurs difficultés : nombre insuffisant de médecins, difficultés d’organisation des rendez-vous, démotivation des opératrices et menace sur l’avenir de l’entreprise.

En réinterrogeant l’utilité fondamentale d’un secrétariat médical, une première découverte émerge : au-delà de la simple prise de rendez-vous, le secrétariat sert à « prendre soin » à la fois du patient et du médecin. Organiser au mieux la journée de travail du médecin, c’est prendre soin de lui. Cette prise de conscience permet d’identifier de nouveaux moyens : le temps de conversation téléphonique entre les opératrices et les médecins, initialement vu comme une simple tâche administrative, se révèle être une ressource précieuse de même que la qualité d’écoute des médecins par les opératrices.

 Ces deux moyens permettent de : 

  • détecter les signes de fatigue ou de stress chez les praticiens
  • revaloriser le rôle des opératrices en reconnaissant leur fonction de « care »

Notons que ce qui n’apparaissait initialement que comme un problème (le temps passé au téléphone) se transforme en ressources stratégiques grâce à cette nouvelle conceptualisation. Rappelons aussi que le manque de motivation des opératrices était un des problèmes initiaux : nous avons fait un progrès en transformant la situation. 

Dans le cas étudié, on observe une chaîne logique de moyens et d’effets potentiels qui se distingue des moyens et des effets activables. Le secrétariat médical (moyen potentiel) produit le soin apporté au médecin (effet potentiel). Ce qui active ce dernier, c’est le temps passé et l’écoute active, car ils sont des moyens activables permettant la détection de la fatigue, devenue un effet activable. 

Voici les étapes que nous avons suivi pour y arriver : 

Étape 1 - Explorer les effets potentiels émergents

Je recherche des effets potentiels de la situation de départ, vue comme un moyen potentiel. Je procède à un brainstorming des effets de ce moyen. Pour cela, je relie des concepts mis en relation grâce à la logique effectuale. Ici, nous nous limitons au soin du médecin mais il y en a probablement d’autres.

Etape 2 - Des effets aux moyens : l’analyse des ressources activables

Je pars à la recherche de moyens activables au niveau de l’effet potentiel (prendre soin du médecin) en vue de l’activer. Pour cela, Je procède à une définition de ce que c’est de « prendre soin du médecin » pour le secrétariat médical. Prendre soin, c’est s’enquérir de l’environnement direct de la personne et contribuer à son bien-être. Cela revient à se poser la question : de quoi le secrétariat dispose à ce sujet ?

Étape 3 - Construire le réseau moyens-effets

Je réfléchis aux effets de ce dont je dispose par un second brainstorming effectual. Je vérifie que c’est bien utile au soin du médecin. Je découvre ce que cela permet d’autres. Je relie ces nouveaux moyens activables aux effets directs produits.

Pour finir, nous obtenons une arborescence effectuale qui récapitule les 3 étapes :

L’exemple de conceptualisation que nous venons d’analyser correspond au cas où « je ne sais pas quoi faire ». Bien évidemment, il existe une autre situation, celle où je sais quoi faire mais pas comment. Chercher les effets de ce que je veux faire n’est alors pas nécessaire. Ce que je cherche, c’est comment le faire et l’étape 1 qui consistait à partir de la situation sans but prédéfini devient sans objet. Dans le cas où je sais quoi faire mais pas comment, le processus peut donc commencer par l’étape 2. Une variante existe cependant selon que l’on recherche des moyens pour « progresser vers » ou « atteindre » l’effet désiré. Progresser consiste à rechercher un moyen contribuant à l’effet. Pour atteindre l’effet désiré, un moyen qui contribue ne suffit pas, il faut qu’il le permette.

L’arbre qui révèle la forêt

L’arborescence effectuale rend explicite un mécanisme cognitif que nous utilisons naturellement sans en avoir conscience. Dans notre cas, notre analyse est restreinte à un effet du secrétariat médical, mais il y en a potentiellement d’autres qui n’ont pas été explorés. En systématisant la recherche des liens moyens-effets potentiels logiques, l’arborescence effectuale offre plusieurs avantages :

  • Elle révèle des ressources activables cachées en forçant l’exploration systématique des effets directs et immédiats d’un concept donné
  • Elle facilite l’intelligence collective en permettant à chacun de visualiser et de compléter les liens logiques identifiés par d’autres
  • Elle fournit un cadre de discussion objectif où chaque proposition peut être validée par la logique des liens moyens-effets
  • Elle permet de distinguer clairement les moyens-effets potentiels de ce qui est activable, car c’est ce qui est activable qui nous intéresse au final

Cette approche comble une lacune importante de la théorie de l’effectuation en :

  • Explicitant les mécanismes cognitifs de l’identification des ressources
  • Dépassant la simple liste des questions « Que-suis-je ? », « Que sais-je ? », « Qui connais-je ? » au niveau de la situation de départ
  • Proposant une méthode structurée pour traiter des situations complexes
  • Fournissant un outil concret pour l’analyse collective des ressources potentielles

L’arborescence effectuale transforme ainsi une démarche intuitive en une méthode rigoureuse et partageable, enrichissant significativement la boîte à outils de l’effectuation.


Mes remerciements vont à Quentin Tousart mais aussi à Frédéric Munier pour avoir permis d’améliorer la clarté des schémas.

Dominique Vian

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