Proposition de directive Omnibus
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Proposition de directive Omnibus

Quel impact pour la CS3D?

Introduction

Le 24 mai 2024 à l’issue d’un parcours long et chaotique, la directive Corporate Sustainability Due diligence a finalement été adopté en trilogue1 par l’Union européenne (UE). Ce texte, pièce maîtresse du Green deal2, dont la transposition en France devrait être opérée au plus tard le 26 juillet 2026, a pour objectif de favoriser le comportement durable et responsable des entreprises et d’ancrer les considérations liées aux droits de l’homme et à leur environnement dans leurs activités de gouvernance sur l’ensemble de leur chaîne de valeur au sein et en dehors de l’UE. Ce texte vient compléter la loi française devoir de vigilance de 2017 et la loi allemande LkSG de 2023 et étend les obligations posées par ces textes, en les amendant, à l’ensemble des pays européens.

A peine quelques mois après, à la suite de l’élection de Donald Trump, à ses prises de position en matière économique, au retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, à une concurrence internationale, notamment chinoise de plus en plus rude, la Commission européenne et sa présidente Ursula von der Leyen ont souhaité proposer, le 26 février dernier, un projet de directive omnibus. Ce projet a pour but de modifier les législations majeures du mandat précédent relatives à la finance durable et à l’environnement afin d’alléger le fardeau bureaucratique qui pèse sur les entreprises, en proposant la simplification de trois textes au nom de la compétitivité : la CSRD (Corporate Sustainability reporting directive) la CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et la taxonomie.

L’objectif de la directive omnibus adoptée par la Commission est une simplification et une réduction drastique de la charge administrative incombant aux entreprises, en particulier celles de petite taille. En effet, la directive prévoit la réduction de 25% de la charge administrative et des économies d’au moins 6,3 milliards d’euros. Toutefois, il est important de rappeler que cette nouvelle législation doit aussi officiellement être validé par le Conseil de l’Europe et le Parlement européen.

Cette proposition, dont nous allons exposer la teneur n’est pas accueillie de la même façon par les organisations non gouvernementales et par le monde de l’entreprise. Les premières considèrent qu’on assiste à un détricotage législatif qui marque un recul en termes de protection des droits humains de l’environnement et de la durabilité. Les seconds saluent une simplification administrative essentielle au maintien de la compétitivité des sociétés européennes face à une concurrence internationale acharnée.

Principales mesures proposées par la directive Omnibus concernant la CS3D

La directive prévoit une réduction des exigences en matière de vigilance. Les entreprises ne seront plus tenues d’évaluer leurs impacts négatifs sur l’environnement et les droits humains chaque année mais seulement tous les 5 ans. Les obligations se concentrent désormais sur les partenaires commerciaux directs excluant de facto une grande partie des chaînes de valeur. Cela réduit significativement le champ d’application de la directive, les relations commerciales indirectes n’étant plus visées.

La proposition omnibus prévoir également la suppression de certaines obligations. D’abord l’obligation de mettre fin aux relations commerciales en cas d’impact grave est supprimé. Les entreprises sont encouragées à privilégier une approche plus nuancée comme la suspension temporaire des relations. Puis, l’obligation de résultat relative à la mise en œuvre des plans de transition climatique est supprimée. Les exigences en la matière sont alignées sur celles de la CSRD, c’est-à-dire, uniquement tributaire d’une obligation de moyen.

Une autre conséquence est la limitation des consultations et des responsabilités. La directive propose une simplification de la notion de « partie prenante » en réduisant le nombre d’acteurs considérés comme parties prenantes et limite les cas où leur consultation est obligatoire. Elle prévoit un « bouclier PME » limitant les informations susceptibles d’être demandées aux entreprises de moins de 500 salariés par les sociétés assujetties au devoir de vigilance, réduisant ainsi la portée des contrôles. La Commission propose aussi de supprimer le régime de responsabilité civile européen initialement prévu dans la directive CS3D. Cette responsabilité serait désormais renvoyée à l’échelon national, ce qui pourrait compliquer l’accès à la justice pour les victimes

Enfin, le décret omnibus a pour conséquence le report d’applications avec le délai de transposition de la directive par les Etats membres décalé d’une année au 26 juillet 2027. Quant à l’application de la directive pour les entreprises de plus de 5000 salariés et 1,5 milliards de chiffres d’affaires est différée au 26 juillet 2028.

Justification de sa proposition par la Commission

La Commission européenne avance plusieurs arguments en faveur de la simplification de la directive CS3D. En premier lieu elle estime qu’un allégement de la charge administrative est nécessaire et qu’il faut simplifier les exigences en matière de devoir de vigilance pour minimiser les coûts supportés par les entreprises et simplifier leurs obligations. L’objectif de réduction visé est d’au moins 25%. En second lieu une telle réforme est nécessaire afin d’améliorer la compétitivité des entreprises européennes notamment face aux sociétés extra européennes qui ne sont pas soumises aux mêmes normes. En troisième lieu, la Commission souhaite établir des règles plus claires et plus circonscrites afin de sécuriser les relations commerciales. Cet objectif justifie qu’en matière de vigilance les exigences soient désormais concentrées sur les partenaires commerciaux directs et non plus sur toute la chaîne de valeur. Enfin, la simplification s’inscrit dans une démarche plus large visant à harmoniser les différents cadres réglementaires existants et à éviter les redondances entre les différentes régulations déjà existantes dont la CSRD, la CS3D et la taxonomie verte européenne.

Perception de la directive par les ONG 

Cette directive Omnibus, présentée comme une simplification administrative est perçue, par de nombreuses Organisations non gouvernementales comme une dérégulation massive qui pourrait compromettre les avancées récentes en matière de protection des droits humains et de l’environnement. Elles estiment que cette proposition compromet le rôle de la CS3D dans la transition durable. A cet égard, leurs arguments sont de plusieurs natures :

D’une part selon elles, la proposition omnibus affaiblit les obligations de vigilance et risque de   compromettre la protection des droits humains et l’ambition climatique. Les entreprises n’y étant plus contraintes risquent d’être moins attentives aux abus relatifs au travail des enfants ou à la pollution.

D’autre part, elles estiment que cette directive constitue un abandon d’un pan essentiel du Green deal européen, regrettent l’absence de consultation de la part des instances européennes sur ces changements et dénonce l’opacité du processus de révision d’un texte adopté moins d’un an auparavant. Pour elles, le timing est inadapté, la CS3D étant encore en cours de transposition et la CSRD tout juste appliquée.

En somme, les ONG considèrent que cette proposition est une menace très sérieuse qui remet en question les progrès réalisés en matière de responsabilité des entreprises de protection de l’environnement et des droits humains.

Perception de la directive par les entreprises

Pour les entreprises la simplification administrative suggérée par la directive omnibus permettrait plusieurs avancées significatives :

Premièrement, un gain de temps, la réduction des formalités administratives et la suppression de certaines régulations permettant d’alléger des obligations aujourd’hui perçus comme trop contraignantes.

Deuxièmement, cette simplification des procédures permettrait des économies financières liés à une réduction des coûts de à la gestion administrative. Selon la fondation IFRAP le coût des normes d’origines européennes pour les entreprises s’élèverait, en 2022, à 120 milliards d’euros3. Cela implique également que les entreprises vont pouvoir se consacrer davantage à leur cœur de métier et à leur développement ce qui permettra une amélioration de la compétitivité.

Troisièmement, ces simplifications, clarifications et harmonisations des pratiques de contrôle vont également permettre une meilleure visibilité des entreprises sur leurs obligations et permettre une sécurisation juridique. En d’autres mots, avec un cadre étant plus clair et précis, le risque d’ambiguïté en termes d’interprétation des bonnes pratiques est réduit et par conséquent, le risque juridique est écarté.

En conclusion les entreprises estiment que cette directive va créer un environnement plus favorable à l’activité économique, au renforcement de la compétitivité dans un marché mondial tendu, tout en maintenant les objectifs du green deal européen. Ce qui paraît être une nécessité face à un environnement économique qui se durcît.


  1. Un trilogue désigne une négociation interinstitutionnelle informelle qui réunit les représentants du Parlement européen, du conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne. ↩︎
  2. Le Green deal ou le Pacte vert pour l’Europe est le projet qui vise à faire en sorte que l’Union européenne atteigne la neutralité climatique en 2050. ↩︎
  3. Meistermann, M. Servière, S-F. (2024) Poids des normes européennes : le chiffrage de la Fondation IFRAP. Fondation IFRAP. ↩︎